Espace Maurice Blanchot

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Articles

Philippe Lacoue-Labarthe, la syncope reste ouverte | Jean-Luc Nancy

A toi, Philippe, pour te saluer. Pour te dire un adieu qui ne te promet aucun Dieu, puisque tu es parti vers rien ou vers toi-même, à moins que ce ne soit vers nous ­ enfin tourné, retourné vers nous, forcément détourné des lointains vers lesquels tu ne t’en vas pas puisqu’ils ne sont pas. A toi qui es entré dans la seule présence pour toi douée de stabilité, dans la station et sur la stèle où tu déchiffrais l’immobilité dangereuse de ce qui se prétend identifié : la figure cernée, érigée. Entré dans l’inadmissible, disais-tu, de cette stance : l’étant transi, rien qu’étant, soustrait à l’infini d’être. Entré dans ce révoltant non-lieu d’être.

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Maurice Blanchot | Jean-Luc Nancy

L’entretien infini, avec ce titre – celui d’un des plus imposants de ses ouvrages – on pourrait tenter d’emblématiser la pensée de Maurice Blanchot. À dire vrai, moins une pensée qu’une posture ou un geste : celui d’une confiance. Avant tout, Blanchot fait confiance à la possibilité de l’entretien. Ce qui s’y entretient (avec un autre, avec soi-même, avec la propre poursuite de l’entretien), c’est le rapport toujours renouvellé de la parole avec l’infini du sens qui fait sa vérité. L’écriture (la littérature) nomme ce rapport. Elle ne transcrit pas un témoignage, elle n’invente pas une fiction, elle ne délivre pas un message : elle trace le parcours infini du sens en tant qu’il s’absente. Cet abstentement n’est pas négatif, il fait la chance et l’enjeu du sens même. « Écrire » signifie approcher sans relâche la limite de la parole, cette limite que la parole seule désigne et dont la désignation nous illimite (nous, les parlants).

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De Zarader à Blanchot | Thomas Regnier

Deux ans à peine séparent le moment présent du temps où, dans la foulée de l’écriture et de la soutenance de mon DEA, je lisais les pages denses, et cependant décevantes, de l’essai de Marlène Zarader consacré à Blanchot : L’Être et le neutre. À partir de Maurice Blanchot (Verdier, 2000). Quelques remarques préliminaires sur le titre de l’ouvrage, plus précisément sur son sous-titre. Il est bien écrit : « à partir » de Maurice Blanchot. Il s’agirait, par conséquent, dans le corps de l’essai, de réfléchir sur tout ce que l’œuvre de Blanchot donnerait à penser sur ces deux termes – l’être, le neutre – et sur leur éventuel antagonisme. L’être : l’objet de prédilection de la philosophie (à quoi la philosophie réfléchit-elle sinon à l’être ?) ; le neutre : ce qui, appelé aussi principe de contradiction, inquiète, remet en question la fameuse tautologie (l’être est, le non-être n’est pas). D’un côté la philosophie, le logos, le clarté du concept ; de l’autre la littérature, le hors-concept, l’« obscurité » de ce que Blanchot appelle « la parole d’écriture ».

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Écrire, et après ? | Christophe Bident

Roger Laporte, Lettre à personne, Lignes & Manifestes, 2006.

Pour Roger Laporte, sous la direction de François Dominique, Lignes & Manifestes, 2006.

Cette Lettre à personne affiche pourtant deux lecteurs : Philippe Lacoue-Labarthe, auteur de la préface, Maurice Blanchot, auteur de la postface. Elle en masque un troisième, qu’elle ne dévoile qu’en dernière ligne, Claude Royet-Journoud, à l’origine du titre. Elle résonne aujourd’hui d’outre-tombe : c’en est la deuxième publication (elle fut éditée chez Plon en 1989), la première après la mort d’un auteur (le 24 avril 2001) qui avait déjà mis fin à son œuvre (le 24 février 1982) lorsqu’il entreprit de l’écrire (le 24 décembre 1982). Voici donc la lettre spectrale du spectre de l’écrivain qui, lorsqu’il décida une première fois de la publier, prit la précaution de s’entourer de deux, voire de trois amis. Une précaution qui l’élève et l’obsède, le protège et lui donne crédit.
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Présence de Maurice Blanchot dans La Déclosion de Jean-Luc Nancy | Gisèle Berkman

Présence de Maurice Blanchot dans La Déclosion, (Déconstruction du christianisme, I), de Jean-Luc Nancy, éditions Galilée, 2005

La Déclosion occupe une place importante dans le champ d’une pensée qui se veut attentive au fait religieux, à sa signification, à sa possible déconstruction.[1] La singularité et la force du livre tiennent à l’articulation des thèses qui en forment la nervure sous-jacente- même si, précisément, il s’agit pour Jean-Luc Nancy de défaire toute affirmation dogmatique, toute présomption d’un sens se voulant unique et présent à soi. Déconstruire la religion chrétienne, (dans la mesure où christianisme et occidentalité, pour Jean-Luc Nancy, s’entr’appellent) en ré-ouvrant le rapport la raison, et en auscultant la provenance occidentale du sens : telle pourrait être, pour le résumer au risque de le schématiser, le programme du livre.

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Ceux qui accusent Maurice Blanchot de nihilisme témoignent surtout du leur 

Entretien avec Christophe Bident
Propos recueillis par Patrick Kéchichian

Le titre avait été donné par la rédaction du Monde des livres.

1) Vous avez construit votre livre autour du concept de « reconnaissance ». En quoi ce que vous nommez un « besoin minimal » est-il aujourd’hui menacé ?

1. Précisons : il s’agit moins du besoin d’être reconnu que du besoin d’exercer une faculté de reconnaissance dans un monde où beaucoup est fait pour nous en priver, un monde de confusion généralisée et ordonnée. Et le besoin d’être reconnu ne saurait s’excepter de celui de reconnaître, si souvent concédé. C’est sur le fond de cette difficulté que tant d’écrivains et d’artistes du vingtième siècle ont parlé d’un impossible (Bataille), d’un indécidable (Resnais), d’un innommable (Beckett) ou d’un neutre (Barthes, Blanchot). D’où la structure du livre : il s’agit de voir comment, à partir d’un constat politique, économique, disons généralement anthropologique, la création artistique a pu construire ses propres figures, ses « plans de soutien » (Schiele), ses « étaux dans l’espace » (Decroux)… C’est un travail que j’ai envie de poursuivre mais j’ai choisi d’organiser ce livre-ci à partir de trois auteurs qui se sont explicitement affrontés à cette question de la reconnaissance. 

2) Dans ce même livre, vous liez les noms de Gilles Deleuze et de Robert Antelme à celui de Maurice Blanchot ? Pouvez-vous définir la nature de ce lien ?

2. Ce lien s’élabore sur le même horizon mais s’il ne change pas ainsi de « nature », comme vous dites, il change de ligne et peut-être de matériau. D’Antelme à Blanchot, il y a un lien direct : ils se sont connus, ont participé aux mêmes revues et aux mêmes mouvements politiques. Mais c’est plutôt à la nature d’un lien oblique, tacite, secret que je me suis attaché. J’ai voulu montrer en quoi les récits de Blanchot auraient pu en un sens être écrits par Antelme. Tous posent la question d’une reconnaissance écartée ou déniée, brouillée, suspectée, destituée, ignorée, effacée, usurpée, pour mieux affirmer son exigence éthique, sa nécessité imparable. La « littérarité » même du texte d’Antelme, glorifiée par le jeune Perec de L.G., ne se comprend pas hors cette demande de reconnaissance – non pas d’élévation ou de gratification, mais de justesse et de justice.

Entre Blanchot et Deleuze, il n’y a pas de lien si immédiat. Il aurait en un sens été plus légitime de joindre aux noms d’Antelme et de Blanchot ceux de Levinas, Bataille ou Derrida. Mais c’est qu’il ne s’agissait pas d’un essai sur les liens de Blanchot aux auteurs dont il a été le plus proche. Le nom de Deleuze vient ici comme un point d’orgue, ses phrases reviennent régulièrement pour témoigner d’un accord lointain mais absolu au mouvement qui porte Antelme dans le texte de Blanchot. Oui, comme une « oreille absolue » à l’égard de ce texte, de son espace, de ses résonances impersonnelles, de ses faces et de ses plis. 

3) Quel est, pour vous qui avez écrit un essai biographique sur lui (Champ Vallon,1998), la place de Maurice Blanchot dans la littérature et plus largement la pensée de notre époque?

3. Une place instable et très paradoxale, à la fois marginale et dominante. Marginale parce que la prétendue difficulté d’approche des récits n’a d’égale que la réelle difficulté des essais, et qu’on lui préfère souvent des auteurs plus faciles en apparence. Il suffit pourtant de lire quelques textes de Blanchot pour voir l’adhésion immédiate qu’ils peuvent susciter, chez les étudiants comme chez les comédiens, pour citer deux « publics » avec lesquels j’ai l’habitude de travailler. 

Une place dominante également, celle que la plupart des écrivains, des artistes, des penseurs les plus reconnus lui ont, précisément, reconnue. Lorsque Deleuze ou Lacan, Bataille ou Dupin le citent, on découvre une même admiration et une même volonté d’usage, non d’appropriation, mais, disons, d’extimation : il s’agit de prendre dans les textes de Blanchot ce qu’il y a de plus intime, de plus secret, de rapporter cette intimité à la sienne, en tant que cette intimité doublée ou redoublée participe à la création et à la signature d’autres images ou de nouveaux concepts.

4) Maurice Blanchot est très mal considéré par une partie des intellectuels ou des écrivains français (ceux, par exemple, qui publient la revue « Ligne de risque »). Que répondez-vous à leurs critiques ? 

4. Je n’ai rien à leur répondre en particulier. Ces manifestations ne sont que l’épiphénomène d’un mouvement de contestation de l’œuvre de Blanchot et, à travers elle, des œuvres qui en sont proches. Ce mouvement n’est pas nouveau, il est né avec l’œuvre de Blanchot et, sur le mode d’une opposition plus ou moins délicate, l’a toujours accompagnée. Le fait que les manifestations les plus récentes ont une « surface médiatique » plus large est explicable par le relâchement du tissu critique et par l’emprise de certaines revues ou maisons d’édition sur le champ littéraire. Il ne faut pas s’en alarmer. Deleuze, encore lui, évoquait dans son Abécédaire la faiblesse de l’époque dans laquelle nous entrions ; nous y sommes toujours, et nous en sortirons. Ce qu’il y a donc à répondre, d’un point de vue général, à ceux qui contestent l’œuvre de Blanchot, c’est que le nihilisme dont ils l’accusent ne témoigne que du leur. Oui, justement, c’est un leurre, auquel on peut opposer à nouveau les reconnaissances si différenciées de Bataille, Levinas, Bousquet, Char, Duras, Klossowski, Derrida, Foucault, Nancy, Lacoue-Labarthe, Jabès… pour ne pas nommer les critiques, Barthes, Nadeau, Poulet, Picon, Starobinski. On voit à quel point tout ceci est politique : car si à travers le nom de Blanchot ce sont encore tous ces noms qui sont visés, c’est aussi une conception de la littérature et de la philosophie non ministrable qui l’est.

« Les actes du jour » | Leslie Hill

Version longue d’un texte publié initialement dans Le Magazine Littéraire (octobre 2003).

 L’écriture, dit Blanchot, cela se passait « la nuit ».[1]  A côté, il y a donc eu le jour, avec sa folie, et ce que Blanchot a pu appeler les actes du jour, c’est-à-dire « les paroles quotidiennes, l’écriture quotidienne, des affirmations, des valeurs, des habitudes, rien qui comptât et pourtant quelque chose qu’il fallait confusément appeler la vie. »

      Toujours est-il que cette vie journalière, journalistique, a joué un rôle essentiel dans la pensée de l’écrivain, ne serait-ce sous la forme d’un engagement politique dont au cours des années le sens a évolué, mais dont la nécessité relevait, disait-il, d’ « une certaine passion ».

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Levinas, Blanchot : une proximité distante | Thomas Regnier

(Une version initiale de cet article a paru dans le dossier du Magazine littéraire consacré, en avril 2003, à Emmanuel Levinas)

Souvenirs d’une rencontre en 1923 alors que Levinas débute des études de philosophie à Strasbourg. Levinas, interrogé  en 1987 par François Poirié, évoque ainsi le jeune Blanchot : « Je ne peux pas le décrire. J’ai eu d’emblée l’impression d’une grande intelligence, d’une pensée se donnant comme une aristocratie, très éloigné de moi à cette époque-là, il était monarchiste, mais nous eûmes très vite accès l’un à l’autre (1). » Dans une lettre à la rédaction d’Exercices de la patience datée du 11 février 1980, Blanchot commentait lui aussi ce moment : « Je voudrais dire, sans emphase, que la rencontre d’Emmanuel Levinas, alors que j’étais étudiant à L’Université de Strasbourg, a été cette rencontre heureuse qui éclaire une vie dans ce qu’elle a de plus sombre (2). »

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L’ordre du jour | Didier Cahen

(Petite présentation de la matinée du samedi du grand colloque Blanchot en mars 2003 à Paris)

Samedi matin . Depuis 3 jours Blanchot posé, dé-composé, apposé x fois déjà, Blanchot la poésie, Blanchot le théâtre, les arts, Blanchot la théorie littéraire, la politique, la traduction  etc .etc. comme si son nom était si transparent qu’il faille en définir à tout moment l’ approche !
Ce matin donc une double  définition pour notre  sujet comme  dit le programme du colloque : Blanchot, récit de la pensée, pensée du récit. Sous le tour de rhétorique – ou son détour : pensée, récit inscrits dans le porte-à-faux d’une improbable symétrie – voici une bonne façon d’unir les  témoignages, de  dire la vérité, oui toute la vérité et rien que la vérité. Tout laisse penser, de fait, que les intervenants de cette demi-journée parleront d’une seule voix pour témoigner d’une vérité unique, unique mais éclatée.
Je pense d’abord à ces trois lecteurs d’exception, dont l’exception a croisé, un jour ou l’autre, la singularité de Blanchot. M. Holland, P. Madaule, C. Bident vous avez chacun à votre façon ouvert des  chemins pour la lecture de Maurice Blanchot, et de cela il faut déjà vous remercier.

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‘Entretien : Sur un désastre obscur’ | Leslie Hill

[Texte resté inédit, prononcé lors du colloque « Blanchot essentiel » dans le cadre des Revues parlées du Centre Pompidou, avril 2002]

Solitude qui rayonne, vide du ciel, mort différée : désastre.

Maurice Blanchot, L’Écriture du désastre

—   L’Écriture du désastre, voilà une parole qui sonne étrangement.  De quoi s’agit-il ?

—   Le titre de Blanchot ne se livre pas tout de suite.  Certes, il nomme le texte qu’il présente, qu’il ouvre et ferme tout à la fois.  Mais la logique du titre, on le sait, est de nature retorse.  Car c’est la fin qui commence, l’entrée en matière qui met un point final.  Structure paradoxale, parergonale.  Qui met en jeu tout un éventail de lectures possibles.  On peut les énumérer.  Le titre de Blanchot, par exemple, se rapporte-t-il uniquement au livre singulier que je tiens entre les mains?  Ou bien nomme-t-il l’écriture en tant que telle (s’il y en a) que ce livre s’efforcerait alors d’aborder comme thème, objet d’entretien, ou sujet de dissertation ?  Et ce mot de « désastre », dont on sait qu’il signifie (selon le dictionnaire) « événement funeste », « malheur très grave », « échec complet », comment faut-il l’entendre ?  Fait-il signe vers quelque événement historique précis, ou plutôt vers un état de fait éternel, qui n’existerait dans le temps que pour autant qu’il est hors du temps ?  Quel est encore le statut relatif des deux noms de choses évoqués dans ce titre ?  Génitif objectif ou subjectif ?  Est-ce le désastre qui est un thème ou un sujet pour l’écriture, ou faut-il dire l’inverse ?  Est-ce le désastre qui fait surgir l’écriture ou l’écriture qui entraîne le désastre ?  Ou l’écriture et le désastre seraient-ils tout simplement synonymes, selon un dédoublement qui échappe à la vieille hiérarchie du sujet traitant et du thème traité ? 

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