Espace Maurice Blanchot

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L’ordre du jour | Didier Cahen

(Petite présentation de la matinée du samedi du grand colloque Blanchot en mars 2003 à Paris)

Samedi matin . Depuis 3 jours Blanchot posé, dé-composé, apposé x fois déjà, Blanchot la poésie, Blanchot le théâtre, les arts, Blanchot la théorie littéraire, la politique, la traduction  etc .etc. comme si son nom était si transparent qu’il faille en définir à tout moment l’ approche !
Ce matin donc une double  définition pour notre  sujet comme  dit le programme du colloque : Blanchot, récit de la pensée, pensée du récit. Sous le tour de rhétorique – ou son détour : pensée, récit inscrits dans le porte-à-faux d’une improbable symétrie – voici une bonne façon d’unir les  témoignages, de  dire la vérité, oui toute la vérité et rien que la vérité. Tout laisse penser, de fait, que les intervenants de cette demi-journée parleront d’une seule voix pour témoigner d’une vérité unique, unique mais éclatée.
Je pense d’abord à ces trois lecteurs d’exception, dont l’exception a croisé, un jour ou l’autre, la singularité de Blanchot. M. Holland, P. Madaule, C. Bident vous avez chacun à votre façon ouvert des  chemins pour la lecture de Maurice Blanchot, et de cela il faut déjà vous remercier.


 Michaël Holland, vous êtes professeur, essayiste, traducteur;  vous êtes, à tous ces titres, l’auteur  du Blanchot reader, un auteur d’autant plus téméraire qu’il soumet sa propre autorité à l’appel confondant des récits.
Christophe Bident, vous êtes d’abord l’incontournable partenaire de l’oeuvre, le chroniqueur exposé d’une impossible biographie. Vous avez su nous rappeler dans un livre qui fait date combien Maurice Blanchot avait d’abord vécu sa vie. Un rappel aujourd’hui sans prix …
Pierre Madaule, vous êtes l’élu d’ un livre. Lire et relire L’arrêt de mort , l’écrire,  c’est un pari qui vous est propre; en le rendant à qui de droit, vous en exécutez la loi.
Et puis, chance de cette matinée, un penseur/essayiste… ; Jean-Patrice Courtois, vous êtes aussi  poète, vous êtes de ceux qui cherchent  au cœur de leur discipline propre, l’indiscipline offerte par la pensée de Blanchot.
 Ces vérités, alors, me direz-vous ! !
Permettez moi d’anticiper sur les 2 lignes de crête qui viendront, j’en suis sûr, traverser notre matinée. Pardon pour la tournure forcément elliptique, minutée devrais-je dire de cette présentation .
Je partirai de cette remarque :  pas de poème, alors que tout aurait du porter Blanchot à en écrire –peut-être l’a-t-il fait – à en publier et il ne l’a pas fait, au sens conventionnel du terme ! Pas de poème , pourquoi ? Je note simplement pour mémoire que le plus instructif des poèmes de Jabès , qui interroge sous toutes ses formes l’appel de la création, s’intitule précisément  Récit .
Premier élément de réponse : comme le poème, mieux que le poème, le récit de Blanchot ouvre  l’ espace de la littérature (en cela, d’ailleurs, le livre à venir questionne l’approche première de l’espace littéraire : « le poème – la littérature ») 
 Le récit parle et il parle d’une langue libre…. Soit La folie du jour, rappelez-vous  le tout début : «  je ne suis ni savant ni ignorant », la dernière ligne aussi, un presque  dernier mot:  « Un récit ? non , pas de récit, plus jamais ». Suivez les lignes intermédiaires, les lignes d’entre les lignes  qui osent parler pour ne rien dire ; lisez ces mots, ces phrases qui parlent pour l’écrivain : cette langue qui parle à l’infini nous parle de sa liberté. Libre de tout dire, pré-dire, libre d’abord dans sa simplicité, dans sa limpidité, l’alangue. Rien d’expérimental, toutefois. Langue d’écrivain, langue d’écriture, cette langue semble couler de source ; beauté sublime de cette langue de Blanchot qui en appelle, qui s’en remet aux prémisses de la langue .  Comment mieux dire alors ?
Cette langue compose la parole et la voix ; entendez cette parole qui semble retenir son souffle… Une parole qui parle à peine, qui s’entraîne à parler en un certain silence, celui auquel on peut s’attendre quand l’exercice de l’écriture défait ou paralyse, autant que faire se peut, les bruits de la grammaire (du verbe, de l’être) : une parole sans parole , pour répéter Blanchot, parole libre d’elle-même.
La voix, une voix, impérissable, qui joint le geste à la parole….  La voix dite narrative, vocale et non-orale, voix de personne (comme la rose de Celan),  voix de l’au-delà,  d’au-delà de l’attribution et de la distribution ; venue d’ailleurs – comment le contester ? -mais pas de nulle part, cette  voix lui vient, elle  vient parler pour lui, Blanchot, mais elle revient d’abord à l’habitant du livre ; et si parler , l’écrire, demande d’articuler la langue, le reste  (tout le reste qui est littérature) est porté/a-porté par la voix, demeure à portée de voix  « C’est la voix qui t’est confiée et non pas ce qu’elle dit » précise L’attente l’oubli . Acceptons-en l’augure. Cette voix tenue, entretenue par la dictée de la littérature,  qui parle pour l’autre, l’élu, l’autre sujet du livre, – l’enfant d’hier peut-être – la voici qui anime et re-suscite la langue ; d’où cette observation très simple : cette langue, langue du récit n’est plus seulement parlante ( et c’est en disant cela la poésie que je nomme) la langue porte  au-delà de ce qu’elle dit ou de ce qu’elle veut bien dire. Oserais-je dire que c’est l’âme de cette langue –  re-ou résuscitée disais-je  – que de parler plus bas, porter plus loin (ailleurs), toucher différemment que la parole ou le silence. Inquiéter le possible, demander l’impossible. Le geste que j’évoquais : parler plus que la langue ! Partant de là poursuivre, où le poème s’arrête ; et ainsi de suite, le verbe pensé au neutre, confié au créateur, reprendre la parole , en faire une langue vivante.
Le récit de Blanchot, alors ? J’aurais aimé en situer le 1er foyer en  un espace du 3ème genre (sorte d’au-delà de la prose et de la poésie) qui peut nous faire sentir  cette essence proverbiale de la littérature : le don, en toute simplicité,  d’une langue libre de tout dire, tout faire…
 
Une 2ème ligne de crête,  en parallèle à la 1ère, que j’appellerais pour des raisons audibles, mais que je développe ailleurs : l’inexpérience de l’autre.
Je partirais de la façon dont essais et récits paraissent nourrir l’attente de l’autre ; Blanchot, pour le meilleur et pour le pire (une fois, jadis, dans le recul du temps) n’a jamais rien dit , rien fait, rien avancé dont il n’ait fait la preuve, l’épreuve. Ici l’immense profusion des essais, là-bas la réserve abyssale  des récits, une distinction utile même si les livres démentent en grande partie cette juste différence :  récit, essai, chacun, en vérité, demande la contre-épreuve de l’autre .
Tout se joue , d’ailleurs, en bonne partie, autour de l’expression, de sa formulation.
Ici la discrète invention d’un langage qui garde le silence ; l’épreuve de cette réalité dans une parole parfaite, qui entretient l’appel de l’inconnu. Exemple : « Trouver c’est montrer des traces et non inventer des preuves » . Là-bas la part de rêve de la littérature, l’inexpérience réalisée de fait, les traces laissées lorsque l’inexpression de l’autre confond l’expression de l’être. Contre-exemple entre mille, la fin (ou presque) de l’Instant de ma mort:  « Je suis vivant. Non, tu es mort ».
Quelle ligne de démarcation, alors ? tout le porte à croire, la ligne de la création .
D’abord , exemplairement, la création de l’autre homme qu’est devenu Maurice Blanchot et je parle à dessein de l’homme: pas une naissance, je ne sais quelle re-naissance … pas une venue au monde (la création serait d’avance déçue par une certaine attente du monde ….)… mais cette nouvelle donne  : venir au jour, dans la fracture du monde qui laisse filtrer un simple contre-jour.
Dit dans un style archi-télégraphique pour m’extirper du temps qui passe trop vite : les récits de Blanchot contiennent la vie et sa pensée.
Blanchot, la vie qui passe… la mort qu’il vit en face … , le cœur qui bat … : on le sait, tout tient à ce mouvement, cette partition d’entre la vie la mort où la fatalité de la vie finit par l’emporter. N’est-ce la ligne narrative la plus irrécusable depuis l’Arrêt de mort ?
Blanchot, la grande pensée de sa vie  … (j’ouvre une parenthèse : une pensée de la vie ….pour la vie croît en une forme d’éternité, comprend toujours la mort, ou l’envisage pour la comprendre ; autre façon de dire les choses, grande leçon des récits de Blanchot : si l’on   peut  vivre  en  écrivant  sa  vie,  seule la  mort  est  « contable »,  je  ferme  la parenthèse) …,  la grande pensée de sa vie se trouve à l’œuvre dans les récits. 
Oui, ces récits n’illustrent rien. La vie des êtres qu’on y croise ne tient qu’au fil de l’écriture : d’où cette froideur selon les apparences, cette solitude première. De tels récits DECRIVENT … C’est tout … Et ils décrivent l’ espace de la littérature qui s’élargit au gré de l’aventure. Ecrire ainsi – décrire – je le note en passant, c’est traverser le jour, délier l’ordre de l’être pour regagner le jour, suivre l’appel de l’autre …
L’arrêt de mort, encore,  au cœur de la démonstration ; dans les plis de l’histoire s’instruit une sorte de récréation de l’homme : une création, en vérité, puisque ce n’est  plus l’homme qui donne son sens à l’œuvre mais l’œuvre qui donne sa vie à l’homme. Désœuvrement , comme disent les derniers livres et chacun sait ce que Blanchot apprit de ce mot là …
Que retenir alors ? La pensée d’un espace évasif de la littérature où le sujet s’accuse, apprend à vivre avec ses créatures ; où, se dispensant de rien dire, il préserve les traces de l’ autre sujet du livre, jusqu’à en faire l’unique objet de sa vie.
Elargissement du livre, immensité de l’écrivain, Blanchot (apposition encore) !
On peut suivre de récit en récit – n’est-ce le programme du jour ? –  cette avance faite d’une réserve extrême, cette avancée qui s’accompagne de toute la retenue du monde. On pourrait suivre – je crois  pouvoir compter sur l’entretien de cette après-midi – on devra suivre dans cette percée des récits de Blanchot une  pensée « dis-pensée » de l’homme. Bref, une dépense de la pensée qui brûle silencieusement du feu de la création.
La vie à l’œuvre, en somme ! disant cela, copiant ces mots qui vous reviennent Christophe Bident, je vous donne la parole pour entamer cette matinée.

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