Espace Maurice Blanchot

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Clément Willer

Webinaire international : Aminadab

Webinaire international

Aminadab

Lundi 5 mai 2025 à 13 heures (heure française)

Lien Zoom: https://tinyurl.com/webinaire-aminadab

Titres et argumentaires

Michael Holland

« Le dernier moment… C’est long, mais ce sera bon ». Le principe générateur d’Aminadab.

Si seule la honte de Joseph K. déborde les confins du Procès, survivant au personnage dont la mort clôt le livre de Kafka, c’est le personnage même de Thomas, ou ce à quoi il sert de véhicule, que le roman qui porte son nom échoue à contenir, et qui trouve dans la honte comme un nouveau départ. Aminadab, c’est le roman de ce débordement du roman. Parti pour compléter la tâche que Thomas l’obscur laisse inachevée et qui est, d’après Blanchot, d’« en finir », le roman est réduit à raconter ce qui dans tout acte de raconter empêche qu’on ne prononce jamais le mot de la fin. Roman donc d’une liminalité interminable, engendrant fatalement une quantité inépuisable de narration, qui apporte, avec une sorte de complaisance, sa charge de faits, de personnages, de sentiments et de réflexions. Si entre la version manuscrite et le roman publié en 1942 on peut dire qu’Aminadab subit une véritable cure d’amaigrissement, c’est que le travail du romancier à ce stade de son évolution consiste à tenir tête aux délectations d’une affabulation intarissable, en ramenant la narration perpétuellement au point où, perpétuellement, la fin lui échappe.  Quelques moments de ce travail feront le sujet de mon intervention.

Michael Holland a publié des études de l’œuvre de Blanchot en anglais et en français, dont certaines ont été traduites en allemand, espagnol et russe. Il a co-fondé et co-édité les Cahiers Maurice Blanchot (2011-2019). Il est l’auteur d’un Blanchot Reader (1995) et d’Avant dire (2015), un volume de ses essais sur Blanchot en français. Il a publié une traduction en 4 volumes des Chroniques littéraires du Journal des Débats chez l’éditeur new-yorkais Fordham (2014-2019). Il prépare avec Hannes Opelz un Dictionnaire Maurice Blanchot pour les éditions Classiques Garnier. 

Clément Willer

Des portes vers « autre chose » : quelques éléments pour une lecture croisée d’Aminadab de Maurice Blanchot et d’Abahn Sabana David de Marguerite Duras.

C’est une « porte bizarre » qui mène à la vérité, disait le peintre Francis Bacon. Aminadab de Maurice Blanchot et Abahn Sabana David de Marguerite Duras nous encouragent à franchir cette porte bizarre, ce seuil vers tout autre chose. Au début d’Aminadab, Thomas entrevoit un visage qui lui fait signe à travers la vitrine d’un magasin, ce qui l’amène à franchir la porte et à s’engouffrer dans une maison labyrinthique où il sera « un étranger » et ne retrouvera « rien de son ancienne vie ». Dans les premières pages d’Abahn Sabana David, une femme et un homme s’arrêtent en chemin pour contempler pareillement une intrigante maison : ils finissent par se diriger vers la porte et par pénétrer dans ce lieu où l’on devient « autre chose » que ce qu’on était. Marguerite Duras avait probablement lu Aminadab à sa parution chez Gallimard en 1942, et il est possible que le roman continuât de la hanter inconsciemment en 1970, tandis qu’elle écrivait Abahn Sabana David, qu’elle dédiait justement à son ami Maurice Blanchot. Faisant dialoguer ces deux romans, il s’agira de comprendre comment ils ébauchent chacun une hétérotopie, au sens où les hétérotopies ne renvoient pas comme les utopies à ce qui n’a aucun lieu, mais à des « espaces absolument autres » qui sont comme des failles dans la trame de l’ici et du maintenant : une hétérotopie écologiste dans le cas d’Aminadab, si l’on songe à la possibilité d’une « forme élevée d’union entre vous et le milieu où se façonne votre vie » évoquée à la fin du roman, et une hétérotopie communiste dans le cas d’Abahn Sabana David, si l’on songe au « communisme sauvage » rêvé par le groupe disparate de marxistes hérétiques. Dans les deux cas, sur un mode allégorique, « il s’agit d’aller », comme dirait Mark Fisher, « peut-être lentement, mais certainement de façon résolue, de là où nous sommes jusqu’à un endroit très différent ».

Clément Willer est docteur en littérature de l’Université du Québec à Montréal et de l’Université de Strasbourg. Sa thèse s’intitulait : Il faudra quand même essayer de ne pas le construire : le communisme sauvage de Marguerite Duras. Une version sous forme d’essai paraîtra chez Abrüpt en 2025.

Ryotaro Nakata

La texture invisible du texte : analyse des réécritures d’Aminadab.

On observe une myriade de différences entre Aminadab (1942) et sa version antérieure manuscrite. Dans ce dernier texte, jusqu’ici inédit, foisonnent des descriptions psychologiques plus développées des personnages ainsi que des précisions substantielles sur l’architecture énigmatique de la maison. Or, pour parachever son roman, Blanchot a soit entièrement supprimé ces éléments, soit les a réécrits dans une forme plus épurée et incisive. Cette démarche traduit sa volonté d’intensifier la densité de l’univers romanesque, d’en accentuer l’opacité et la structure labyrinthique.

Parmi les innombrables modifications, l’une des plus significatives pour le lecteur réside dans la transposition d’un passage, déplacé et inséré dans un tout autre contexte du roman. Il s’agit de l’entretien entre Thomas et Jérôme : il apparaît aux pages 142-144 de l’édition de la collection « L’Imaginaire », mais il appartenait originellement à une autre section du manuscrit. Cette redistribution textuelle renforce l’ambiguïté du monde romanesque et en accentue l’obscurité.

Dans cette intervention, nous nous attacherons dans un premier temps à analyser, d’un point de vue formel, la manière dont Blanchot réorganise ses manuscrits. Nous tenterons ensuite d’examiner les effets de cette recomposition sur la dynamique narrative et sur la logique interne de l’œuvre.

Ryotaro Nakata est doctorant à l’Université de Tokyo. Son dernier article, « La possibilité de l’art du roman : autour de Thomas l’Obscur de Maurice Blanchot », publié en japonais dans Études de langue et littérature françaises (n°126, 2025), explore une problématique de l’art du roman à travers une lecture de l’œuvre narrative de Blanchot.