Maurice Blanchot | La parole analytique | Samedi 10 février 2024 | Rennes | 9h – 18h
Argument
« Quelle vertu accordée à la relation la plus simple : un homme qui parle et un homme qui écoute[1]. »
Maurice Blanchot fait partie des (ré)ouvreurs de langue, de ceux dont la lecture creuse continuellement l’écart avec l’usage quotidien des mots.
Cette journée, consacrée à Maurice Blanchot, tient son titre d’un chapitre de L’entretien infini, intitulé La parole analytique[2]. Elle s’inscrit dans son siècle, teinté par l’incitation systématique à parler, héritier d’une croyance dans les bienfaits de la parole ; époque dans laquelle les dispositifs de parole se multiplient sans considérer cette question : qu’est-ce que la parole[3] ? Époque bavarde, « cela veut dire : nous vivons dans un monde où il y a de la parole sans un sujet qui la parle[4] ».
La parole n’est pas Une. La parole est plurielle dans ses fonctions et ses pouvoirs, ce pourquoi nous proposons de penser avec la parole analytique. Que nous revient-il de la place occupée par Maurice Blanchot, cette place du Dehors, concernant la psychanalyse ? Qu’est-ce que sa lecture éclaire encore de nos pratiques institutionnelles et du dispositif analytique ?
Occasion de poursuivre cette forme d’explication permanente avec Jacques Lacan appelée par René Major ; non pas expliquer Lacan, plutôt s’expliquer avec comme il se dit après s’être (em)brouillé avec quelqu’un. Ce que Jacques Derrida nommait « la provocation lacanienne[5] ».
Dans La parole analytique Maurice Blanchot consacre quelques pages aux spécificités de la parole analytique, d’abord comme expérience de la parole de transfert. Parole qui parle en trompant l’autre et en se trompant sur l’autre[6]. L’analyste sera ainsi le « plus absent des auditeurs, un homme sans visage, à peine quelqu’un, sorte de n’importe qui faisant équilibre au n’importe quoi du discours, comme un creux dans l’espace[7] ».
Plus encore, la parole analytique parle depuis la vérité, elle sollicite[8] la vérité bien autrement que « le désir de l’immobiliser […] afin d’en disposer communément[9] ». Maurice Blanchot approche la vérité par son nomadisme[10]. Envisagée comme telle, la vérité du sujet se maintient, tout comme celle de l’expérience analytique, en dehors du champ du religieux et de la croyance en une vérité unique, dicible, saisissable. La vérité de cette parole est toujours nouvelle, étrangère, divisante, toujours à venir. « Pensée du dehors » propose Michel Foucault[11].
La parole analytique serait-elle alors parole à venir ? Parole pour laquelle « il ne s’agit pas d’être chez soi, mais toujours au Dehors[12] » et à laquelle l’interprétation fournit son répondant dans cette attente pressée du moment de La réponse.
Dès lors, comment conclure lorsque ce qui prend la parole sera l’incessant[13] et l’interminable ?
« Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle[14]. »
[1] Maurice Blanchot, L’entretien infini, Paris, Éditions Gallimard, 1969, p. 343.[2] Initialement publié en septembre 1956 dans le numéro 45 de la Nouvelle Nouvelle Revue française sous le titre « Freud ».[3] Jacques Lacan, « Variantes de la cure-type », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 351.[4] Maurice Blanchot, « La parole vaine », dans L’amitié, Paris, Éditions Gallimard, 1971, p. 145.[5] Cité par René Major dans Lacan avec Derrida : analyse désistentielle, Paris, Éditions Mentha, coll. « De l’homme », 1991, p. 16.[6] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 349.[7] Ibid., p. 348.[8] Jacques Lacan, La logique du fantasme dit « Séminaire XIV », version critique et commentée de Michel Roussan, Paris, [1966-1967] 2017, séance du 21 juin 1967.[9] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 350.[10] Ibid., p. 185.[11] Michel Foucault, « La pensée du dehors », dans Critique, n°229, juin 1966, p. 523-546.[12] Maurice Blanchot, L’entretien infini, op. cit., p. 187.[13] Ibid., p. 353.[14] Jacques Lacan, « La chose freudienne », dans Écrits, op. cit., p. 409.
Intervenants
David Bernard pratique la psychanalyse à Rennes, maître de conférences en psychopathologie à l’Université Rennes 2, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL), auteur de Lacan et la honte (2011, 2019), La différence du sexe (2021).
Michel Bousseyroux est psychiatre et psychanalyste à Toulouse. Il a fait son analyse avec Jacques Lacan, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL). Il dirige la revue de psychanalyse L’En-Je lacanien aux éditions Erès et a publié de nombreux ouvrages dont dernièrement Psychanalyser le pas-comme-tout-le-monde aux Éditions Nouvelles du Champ lacanien.
Claudine Hunault est performeuse, comédiennes, metteuse en scène de théâtre et d’opéra, psychanalyste et écrivaine. Elle a fondé et co-dirigé Le Théâtre La Chamaille à Nantes, un laboratoire Le Dernier Spectateur et la compagnie Judith Productions. Auteure de Je me petit suicide au chocolat. A l’écoute de l’obésité (2023), de Comme une épaisseur différente de l’air avec Nathalie Milon, de Heretu et les yeux de la nuit, de Désir d’Antigone, de Des choses absolument folles, Une lecture du roman Le Très-Haut de Maurice Blanchot.
Parham Shahrjerdi (est né en 1980 à Téhéran, en Iran) vit en exil à Paris. Ecrivain, critique littéraire, traducteur et éditeur, il est notamment fondateur du site Espace Maurice Blanchot et de la revue Naamomken, il anime, en compagnie de Benoît Vincent, la revue Hors-Sol. Parmi ses traductions : Blanchot, Duras, Bataille, Quignard et Artaud. Editeur d’œuvres importantes de la nouvelle littérature iranienne (interdites par la censure), et, en persan, d’œuvres de J. Baudrillard, J. Butler, G. Deleuze, J. Derrida, G. Bataille, K. Acker et A. Ginsberg.
Dominique Touchon-Fingermann pratique la psychanalyse à Sao Paulo et à Nîmes, membre de l’École de Psychanalyse des Forums du Champ lacanien (EPFCL). Elle a publié plusieurs ouvrages en portugais et La (dé)formation du psychanalyste en français aux Éditions Nouvelles du Champ lacanien.
Cette journée est organisée par Sarah Haugeard, Claudine Hunault, François Boisdon & Alexandre Faure.