Maurice Blanchot, Thomas le Solitaire, éditions Kimé, mai 2022
À sa mort survenue le 20 février 2003, Maurice Blanchot, on le sait, a laissé derrière lui dans divers endroits un ensemble important d’objets, dont livres et photos, et de documents personnels, parmi lesquels des manuscrits, des épreuves, des notes de lecture, des traductions partielles, et des correspondances. Ceux-ci ont été largement dispersés par la suite, on le sait aussi, selon des voies hasardeuses et aléatoires. N’auraient échappé à ce sort que les papiers personnels de l’écrivain entreposés dans le pavillon de banlieue au Mesnil-Saint-Denis dans les Yvelines où il a passé les dernières années de sa vie. Après bien des détours, ces archives ont été acquises en 2015 par la Houghton Library de l’Université de Harvard qui les a mises à la disposition des chercheurs et lancé un important programme de numérisation.
Dans cette collection de la Houghton se trouvent, entre autres, le manuscrit et le tapuscrit d’un premier roman intitulé Thomas le Solitaire, dont la rédaction remonterait aux années 1931-1937. C’est ce texte, établi soigneusement à partir du manuscrit et du tapuscrit de Blanchot, que nous livrons aujourd’hui aux lecteurs. Il s’agit bien entendu, comme l’indique son titre, d’un texte précurseur de Thomas l’Obscur, premier roman officiel de Blanchot, livré à l’éditeur en mai 1940 et publié en septembre 1941, avec lequel cette avant-version jusqu’ici inédite présente des similitudes certaines, mais aussi des différences considérables.
Ce qui fait espérer que ce texte singulier et parfois hallucinant qui paraît aujourd’hui aux éditions Kimé va bouleverser de fond en comble ce que l’on croyait savoir de cette première étape de l’écriture de Blanchot romancier, pousser à une nouvelle lecture approfondie non seulement du roman de 1941, mais aussi du récit, Thomas l’Obscur, nouvelle version, paru en 1950, et remettre ainsi l’œuvre romanesque de Blanchot au cœur de la réflexion contemporaine sur les pouvoirs et les limites mêmes de la littérature.
LH et PL
Keri Bentz
In the “Notice” appended to “Thomas le solitaire”, mention is made of an article by John McKeane on the work on page 273, but no place of publication for McKeane’s article is given in the sixth footnote to that page, where the article is cited. It would be great to know where this article is available.
Leslie
Hi Keri, I hope you are well. Thanks for pointing out this minor glitch. John McKeane’s article can be found here: https://www.cairn.info/revue-roman2050-2021-1-page-75.html
Keri Bentz
Thanks so much for the information. I look forward to seeing further publications from Blanchot’s archives, and the comments of Leslie Hill and others on them.
JE Miriel
Mon article paru sur mon blog :
Naissance de Maurice Blanchot romancier
Avec son premier roman, Thomas l’Obscur, publié chez Gallimard en 1942, Maurice Blanchot, qui n’était jusque-là que journaliste, devient à part entière romancier. La métamorphose ne s’est pas produite sans difficultés. C’est ce que révèle la découverte du tapuscrit de Thomas le Solitaire, longue préparation au texte final. De 1931 à 1938, Blanchot travaille à ce brouillon qui, considérablement transformé, aboutira à Thomas l’Obscur quelques années plus tard. Les éditions Kimé proposent aujourd’hui la lecture de cet « avant-roman », embryon déjà conséquent de l’œuvre définitive, qui l’annonce lointainement mais sûrement, telle une étape préparatoire essentielle.
Une courte notice, en fin de volume, nous informe de la manière dont Thomas le Solitaire a été retrouvé. Après la mort de Blanchot, le 20 février 2003, la plupart de ses papiers furent éparpillés, sauf une petite partie acquise par l’université de Harvard. S’y trouvait, sous forme de tapuscrit, ce manuscrit inédit, qui révèle, remarque la même notice, une « coupure assez nette entre le projet de 1931-1938 et celui qui lui a succédé ». D’où son intérêt.
Dès le départ, en somme, ce premier et grand roman de Blanchot, Thomas l’Obscur, pose ainsi une problématique assez complexe, avec ce long enfantement en amont. C’est pourquoi, lire aujourd’hui Thomas le Solitaire est une chance tout à fait inespérée, à condition sans doute de bien connaître déjà la version de 1942 (disponible à nouveau depuis 2005). On y retrouve évidemment le même personnage principal, Thomas, confronté, dans les grandes lignes, à une atmosphère semblable. Certains passages, d’ailleurs assez rares, seront repris (ils sont indiqués comme tels dans l’édition), mais considérablement modifiés. En réalité, toute une part de la fiction, même si elle découle d’un même principe romanesque, est différente. Il y a par exemple, dans Thomas le Solitaire, davantage de personnages secondaires. Quant au style, il est pour ainsi dire surchargé, alors qu’il se simplifiera dans la version ultime. C’est un peu comme si, à un moment donné, en concevant son texte, Blanchot en avait perdu la maîtrise, qu’il retrouvera néanmoins ensuite, après une réécriture en profondeur du manuscrit.
Pour Blanchot, on le sait, le travail littéraire était une ascèse et un absolu sans fin. Jean Starobinski a pu dire, dans un article sur Thomas l’Obscur, que l’œuvre blanchotienne « n’offre aucune prise à une réflexion qui voudrait la prendre tout entière sous son regard ». Elle semble déborder, et demeure une énigme, même après relecture, conservant presque un caractère proprement « inassimilable », selon le mot très judicieux d’Éric Hoppenot.
C’est le cas, avant tout, de Thomas l’Obscur, dont Blanchot donnera d’ailleurs en 1952 une « nouvelle version », beaucoup plus courte, comme si, vers ce roman, convergeaient les interrogations majeures de sa création littéraire. Au reste, toute l’œuvre future de Blanchot est déjà contenue là, dans ce creuset romanesque « interminable » (Derrida), que préfigure Thomas le Solitaire, avec des passages déjà clairement identifiables : « Elle avait compris, y écrit par exemple Blanchot, que comme d’autres sont infirmes, privés d’un membre, elle, elle serait privée, pour tout le temps de sa vie, de sa mort. »
Thomas le Solitaire représente une expérience littéraire inclassable. Sa lecture nous permet de mieux comprendre comment Blanchot a élaboré son univers romanesque, rempli en continu de cette nuit éternelle, qui règne toujours avec obstination.
Thomas le Solitaire, de Maurice Blanchot. Édition de Leslie Hill et Philippe Lynes. Kimé, 282 pages, 29 €.